samedi 16 avril 2011

Fiction : Voyage Saturnien. Ou ailleurs, on s'en fout.

1.12.10

Voilà. On y est.
Le grand départ.
C'était pas une mince affaire de braquer 431 vieilles peaux dans la rue, leur faire le sac, pour souvent y trouver des photos de gringalets avec un appareil dentaire, ou des boites de médoc contre la colique matinale. Projet de longue haleine, pour sûr. Mais fallait au moins ça pour pouvoir m'acheter ce billet sans retour vers ma destination.

J'arrive sur le quai d'embarquement.
Ma valise contient en tout et pour tout 4 paires de chaussettes, des slips à l'effigie de Snoopy, deux jeans troués parce qu'un peu vieux, et un antique magazine porno qui avait dû appartenir à un camarade de 4e, quand j'étais marmot.
Je sais. Je suis sentimental.

Pour l'occasion je me suis vraiment fringué en touriste. Chemise hawaïenne fushia trop grande, un bermuda kaki trop grand, un sombrero en paille trop grand et des chaussures bateau trop grandes.

J'ai l'air d'un con, c'est évident. La connerie ça disculpe. Ça me laisse ce doux sentiment que ma conscience est clean avant de quitter ce taudis de merde. Effet d'illusion optique, évidemment. Inutile de préciser que je déteste ces frusques. J'ai l'impression d'être un pecnot qui vient jouer aux machines à sous dans un casino pour la première fois.

Un type en costume noir impeccable me dit de le suivre. Enfin je suppose. Parce qu'il parle en russe, et moi j'en piste pas un traitre mot, évidemment.

Le tuyau d'embarcation (j'ai aucune idée de comment on appelle ce machin-truc) me laisse l'idée d'être digéré lentement, pour me faire déféquer au loin. Pour une fois, je trouve pas ça désagréable.
En fait, pour une fois, ça a même un semblant de sens.
Une bonne purge, et zou.
Le russkov derrière moi me dit un truc dans sa langue natale. Je le remercie, car je suppose qu'il me souhaite : "bon voyage", ou "va chier". L'un dans l'autre, c'est pareil.
Merci, oui, merci. Toi aussi.

J'avance donc tranquillement vers cet appareil un peu étrange pour mon baptême de l'air. Ouais, je l'avoue, j'ai jamais pris l'avion. En même temps, c'est pas vraiment le propos puisqu'il ne s'agit pas d'un avion, mais d'une fusée. Je vais donc avoir droit au baptême du vide en prime. C'est vraiment mon jour de chance.

Je passe le sas qui se referme bruyamment derrière moi dans une cacophonie de mécaniques à air comprimé ou de tuyauterie à gaz. Je saurais pas trop dire, je suis pas ingénieur (ça se saurait).
L'habitacle est vraiment tout petit. En fait j'ai juste la place pour poser mon cul sur un fauteuil qui à l'air vraiment flippant et confortable à la fois. C'est un peu comme à la fête foraine, mais en mieux.
Ya une console hi-tech aussi. J'espère qu'ils ont intégré l'auto-radio, parce que le trajet risque d'être long sinon.
Et... voilà. C'est tout.Se sont pas foulés sur la déco intérieure, c'est sûr.

Je m'installe et je boucle ma ceinture. Machinalement, mes doigts tapotent les accoudoirs. Un peu nerveux, sans doute. Shhht.
La tuile. Je me rend compte que je suis pas allé pisser avant de monter dans la carlingue. J'ai aucune idée si ya des chiottes planquées quelque part dans cette soucoupe fuselée. En espérant qu'ils aient prévus le PQ aussi.
Je détache ma ceinture et je regarde un peu partout autour. L'espèce de colonne centrale en métal blanc, derrière l'unique siège est parcourue de fines rainures et je me demande si ya pas un panneau d'activation secret comme dans les films de science-fiction.
Mes mains tâtonnent dessus, mais ne trouvent rien. J'espère qu'il n'y a pas de caméra planquée dans l'habitacle, sinon je suis sûr de passer à Vidéo Gag dimanche prochain.

Ya des bruits bizarre et un ronflement qui chatouille la plante de mes pieds. Ils chauffent le moteur, je crois.
Merde, faut vraiment que je largue des potes à la piscine avant le décollage, sinon je vais repeindre mon slip Snoopy. Panique à bord, je tapote timidement sur les boutons de la console pour voir si un truc se passe. Évidemment, les indications du tableau de bord sont en russe aussi.
C'est fin, bravo.
Commencent à me faire chier avec leur alphabet cyrillique.
Perte de patience, énervement, je tape plus fort sur les boutons.
Pshhhhh.
J'avais vu juste. Ce sont des chiottes ! D'un blanc irréprochable, d'ailleurs, comme la couleur de... oui enfin vous avez déjà vu des toilettes, hein.

Je baisse mon froc et m'assied sur le froid réconfortant de la faïence. Quelques bruitages coupés au montage plus tard, c'est la panique à nouveau. J'ai oublié de vérifier le PQ. Et forcément... j'en vois pas.
Pour arranger le tout, le ronflement sous mes pieds et qui désormais me chatouille aussi le fion, se transforme en vrombissement alarmant. Ça vibre sec là dedans.

"Chérie, je crois qu'on décolle".
Faire de l'humour, finalement, ça ne me détend pas vraiment. J'ai les poils de cul collés, et rien pour les essuyer.
"Ok ! Je ne vais pas mourir dans ma propre merde ! A plans foireux, solutions radicales." Je vire mon bermuda et m'essuie tant bien que mal avec. En fait, je tartine plus qu'autre chose, mais je fini par venir à bout de mon déjeuner d'hier. Je remet mon slip presto et me jette sur le fauteuil pour me sangler.

Tout juste.
Le décollage commence.
Adieu, veaux, vaches, cochons et gens à la con. Je suis ravi de vous laisser en plan. C'était vraiment brillant comme idée. J'ai bien envie de lever mon majeur, en signe d'adieu rebelle et superbe, mais ça rime à rien, personne me regarde.

Toutes les lumières du cockpit s'éteignent, exception faite de la loupiote rouge d'alarme. A un moment donné, je me demande si le réacteur à pas juste foutu le feu à la fusée. Ce serait bien ma veine. Je serre les dents et les fesses.
Et l'enfer vient jusqu'ici frapper à la porte. Même pas besoin de le chercher sur google map. Toute la structure frissonne et cahote. J'ai l'impression d'être un marteau-piqueur sans pique. Puis progressivement, mes organes descendent dans mes chaussettes.
Et plus ils descendent, plus l'envie de vomir me saisi.
Mais je tiens bon, je suis un aventurier. Sisi.
C'est là que je perd connaissance. Parce que même l'aventurier en slip à ses limites. Faut pas déconner, non plus.
 
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Les mois ont passés.
Me demandez pas comment était le voyage. C'est indécent, comme question. Ne me demandez rien d'ailleurs. Cette obscure période n'est qu'une suite pénible de riens.
Rien à faire, rien à penser, rien à voir.
A part chier, dormir, être nourri par un tuyau, voilà quoi.

De toute façon j'arrive finalement à destination.
Je vous fais pas non plus l'atterrissage, parce qu'en fait c'était un grand fiasco à l'instar du décollage. Sauf que j'ai pas ruiné de bermuda, cette fois (d'ailleurs, j'ai fini par trouver le PQ, hein, durant le voyage).

Après quelques hématomes, courbatures, genoux éraflés et une ou deux côtes pétées dus au crash de l'appareil, le sas est éjecté et me renvoie une aveuglante lumière.
Celle du jour.
D'un jour. D'un monde nouveau. Une nouvelle terre vierge de ce que j'ai pu connaître auparavant.
Je vois rien évidemment, je suis resté enfermé dans une boite en alu pendant plusieurs mois. D'ailleurs, j'ai aucune idée de l'endroit d'où je me trouve. Mais je n'ai pas la patience d'attendre que ma vue s'habitue. Faut que je sorte d'ici. Coûte que coûte. Respirer cet air, qui va peut-être bien me tuer en quelques secondes, la pression atmosphérique me faire imploser. RIEN A FOUTRE. Sortons de ce merdier.

Je m'extirpe tant bien que mal de la fusée, les paupières crispées par la douleur, en tâtonnant et priant que mes pieds ne me précipitent pas 20 mètres plus bas. Mais non. Mon pied se retrouve sur un sol granuleux. De la terre peut-être. Enfin un truc quoi. Ça ressemble pas à de la moquette en tout cas.

J'entend des pas. Enfin je crois !
J'essaye d'ouvrir les yeux pour regarder dans la direction de ces bruits là, qui s'approchent, en vain. Pas moyen, j'ai les larmes qui coulent, mais ça latte trop, je peux pas.
Je viens peut-être de tomber sur une forme de vie répugnante, hostile, et qui s'apprête à me bouffer la cervelle, et je peux même pas savoir à quoi m'attendre !
En plus j'ai l'air fin avec mon slip snoopy. Même si c'était un émissaire pacifique d'un peuple doux et compréhensif, il penserait sûrement que je me fous de sa gueule.
Il est tout près maintenant.
Il vient de s'arrêter juste à côté de moi.

_"Hey mec, t'aurais pas une p'tite pièce ?"

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